Saturday, September 20, 2008

Ode à Astérix

De loin, on ne voit qu’une grosse bedaine. Ses voyantes braies bleues et blanches lui vont jusque sous les bras, ses fines tresses rousses les touchent presque. Au dessus de son cou robuste, un petit menton et des petites pommettes saillantes et hautes perchées laissent anticiper un sourire sous son abondante moustache et son nez caricatural. Autour de cette grosse poire, ses yeux et son casque semblent minuscules. Ses bras chairus , large comme des troncs d’arbres se rejoignent souvent dans son dos où ses grosses mains supportent une monumentale garnotte qui fait deux fois sa taille (et c’est pas peu dire!). Il n’est pas exactement le menhir le plus intelligent de la carrière mais il a la joie de vivre d’un Portos doublée de la susceptibilité belliqueuse d’un Cyrano de Bergerac (c’est pour ça que Depardieu lui va à merveille). Ce gros mastodonte (dites le pas trop fort) est pourtant un grand timide de son propre aveu.

 

À côté de sa grosse paire de chaussures brunes et informes, il y en a presque toujours une seconde. De celle-là émergent de courtes jambes vêtues de rouges jusqu’à une ceinture lestée d’un glaive de côté et d’une gourde assez spéciale de l’autre. Un petit chandail noir monte jusqu’à ses étroites épaules, laissant à découvert ses bras frêles. Ne vous y méprenez pas! Sur le visage, les mêmes pommettes saillantes, le même nez gros comme un œuf d’autruche, presque les mêmes moustaches mais en jaune. Des plumes se dressent sur son casque, comme s’il avait toujours une ampoule allumée au dessus de a tête. Contrairement à son comparse aux petits yeux hébétés, les siens sont éveillés, grand ouverts sur un esprit plus vif que l’on croirait.

 

C’est presqu’une signature. Même si ce n’était pas lui qui les dessinait, les personnages de Goscinny ont toujours eu un énorme nez de clown; Astérix, Obélix, Iznogoud, Oumpah-pah, les Dalton… Contrairement à l’univers de la Ligne Claire de Hergé qui se veut généralement assez réaliste, l’univers de Goscinny et d’Uderzo est cartoonesque, caricatural à l’excès. Personnages dessinés soit minuscules, soit démesurés (Astérix face à Obélix, Joe Dalton face à Averell), presque sans aucun sens des proportions; mentons énormes, nez énormes, pieds énormes. Les méchants piquent des crises dignes d’enfants de quatre ans hyper-gâtés mais les bons aussi ne sont pas dénués d’un certain côté grotesque. Les lois de la physique sont respectés, à moins que ce soit plus drôle autrement. Quand quelqu’un est frappé, il fait un saut de dix mètres dans les airs…et survit! (« Oh, tu sais, ce n’est qu’dessin animé après tout. Tout est permis! ») C’est la même chose avec l’histoire.

 

C’est tout juste les drôles de faces qu’il faut pour meubler de bonnes soirées quand on a huit ans. Je sait, c’est pas bon de rester trop longtemps devant la télé quand on a huit ans (dans ce cas là, pourquoi est ce qu’on leur donne des médicaments pour qu’ils restent assis?). Lors des trop courtes soirées du temps des fêtes passés devant la télé de la chambre de mes parents, les rires des mon onc’ et matantes du bout du monde (ie, Montréal)  venues en visite de fin d’année, les jokes de mes frères et sœurs encore sous le toit familial et même l’arôme des galettes et des pâtés passaient amplement la porte de bois mince mais il en fallait bien plus que ça pour faire sortir la petite dernière de la chambre pour un morceau de dinde ou même pour un nouveau cadeau; j’avait tout ce qu’il fallait pour m divertir devant les yeux et entre les deux oreilles. Mon imagination faisait du cent à l’heure en regardant l’acier brillant de l’armure robuste des romains pourtant impuissante contre le poing d’Obélix. Je sautillai au rythme des bagarres et même une fois le film fini, j’imaginait le duo gaulois à mes côtés partout ou j’allait. Je n’avait pas besoin d’amis, même en allant me faire glisser à la gravel pit. Les plus infimes détails de ma vie d’enfant devenaient excitants, même l’école. Ce n’était que de la rêverie mais de la rêverie intéressante qui me donnait de l’énergie, me survoltait. C’était le pourvoir, pour une petite fille de huit ans en 1993, de me transporter en Gaule, vingt siècles plus tôt, déjà le pouvoir de transposer un univers dans le mien et même d’en créer un autre. Déjà l’embryon d’un talent d’écrivain.

 

Le temps des fêtes est un temps fertile en clichés au Canada. L’œuvre de Goscinny et Uderzo est aussi pleine de clichés d’outre-Atlantique. Il y’a aussi beaucoup d’autres clichés qui font rire tout le monde, surtout les adultes, qui y ont presque tous eu affaire un jour ou l’autre. L’élément déclencheur de l’album « Les Lauriers de César » est un pari d’ivrogne la rivalité et les commérages auxquels se livrent Bonnemine et les femmes du villages dans « La Zizanie » est un délice. On peut aussi prendre l’exemple de la maison qui rend fous, dans « Les Douze Travaux d’Astérix ». N’importe qui a déjà eu affaire à la bureaucratie gouvernementale (et aussi de plusieurs entreprises privées) a un jour, eu envie de péter les plombs comme Obélix. Un de mes professeurs d’histoire s’est même une fois servi de cette scène comme exemple humoristique de ce qu’était la bureaucratie romaine dans les derniers jours de l’empire.

 

Composé pour la plus grande part après Mai 1968, on voit bien que l’univers d’Astérix est moins coincé, moins politically correct que celui de Tintin. Il est plus satirique, avec tout juste la bonne dose de vérité historique et de clins d’œil à notre temps. Astérix nage à la perfection entre la satire humoristique destinée aux adultes et l’humour un peu plus doux, voir même un peu plate, destiné aux enfants.

 

La grande force de cette œuvre, c’est justement son humour à plusieurs niveaux. Les bagarres intéressent les jeunes savant à peine lire. Les situations anachroniques, les jeux de mots et les clins d’œil à notre époque amusent les plus vieux (jeunes de cœur). Même le lettré et le fin historien y trouve son compte en citations latines et en fines références à l’histoire romaine.

 

C’est une bonne réponse à certains qui ont accusé l’œuvre de Goscinny et d’Uderzo d’être truffés d’incongruités historiques et de manque de profondeur. Ces critiques ne sont pas dénués d’un certain snobisme, celui qui prend sa seule fierté dans la compréhension de ce qui est au dessus  du commun des mortels, qui foule aux pieds ce que la plupart des gens comprennent, le tout dans le plus parfait arbitraire. Ces critiques semblent oublier qu’Astérix est une bande dessinée, un divertissement, et non un manuel d’histoire. Certains des auteurs encensés par les mêmes critiques se sont eux aussi permis de petites entorses à l’histoire de leurs œuvres plus sérieuses mais pas de moindre qualité pour autant. Ils l’ont fait au nom de la créativité et de la liberté artistique et ils avaient parfaitement le droit de le faire. L’art n’a pas à être une représentation de l’histoire pas plus que la peinture, à l’époque de la photographie numérique, n’a qu’a être une représentation fade de ce que l’on voit. Ces responsabilités reviennent respectivement à l’histoire et à la photographie. On apprend très tôt aux jeunes à faire la différence entre la réalité et la fiction et vers l’âge de dix ans ils savent bien souvent la faire mieux que nous. Ils savent donc très bien que la potion magique n’existe pas. On peut pas en dire autant de leurs ainés qui recherchent toujours boissons énergétiques, shakes aux protéines et fontaines de jouvence au collagène et aux Oméga-3.

 

Même si cette bédé est presque de l’entertainment à l’américaine au pays des critiques snobs par excellence, il y’a une certaine historicité (conquête romaine de la Gaule, thermes, insulae). Il y’a aussi une certaine profondeur qui dépasse le simple étalage de chauvinisme auquel les américains nous ont habitués. On n’a qu’à penser au personnage de Jules César. Il aurait été très facile et même tentant d’en faire un méchant envahisseur à la Darth Vader et de traîner aux égouts ce grand personnage de l’histoire de l’humanité. Après tout, n’a-t-il pas assujetti le peuple de nos héros? Au contraire, c’est par sa caricature en encre et en papier qu’il est ramené à un niveau plus humain que celui de Dieu auquel des générations d’historiens à ses pieds l’ont hissé. Dans Astérix, Jules est toujours un homme d’État ambitieux (l’ambition est un pré-requis pour être un politicien) mais tout de même hors-pair, qui n’a pas toujours conquis le monde en étant poli (l’esclavage et les prises d’otages sont abordés dans Astérix) mais personne dans l’histoire n’a conquis le monde sans tricher un peu (lisez Le Prince de Machiavel si vous en doutez!) Il redouble d’ingéniosité pour conquérir le village Gaulois, dernier caillou dans sa caliga mais est toujours tenu en échec par la potion magique et parce qu’il a beau être le plus grand politicien te tout les temps, il est entouré d’incompétents (fictifs, à qui incombe d’avantage le rôle du méchant classique). Il est cependant loin d’être un dieu sur terre et il lui arrive de se fâcher, de se tromper, et même quelques fois d’avoir l’air assez ridicule.

 

Savez-vous ce qui m’a amené à m’intéresser autant à l’empire romain? Une bonne partie de ce que je connais sur les césars, je l’ai pris dans une vieille encyclopédie que Patrice m’a donnée. Qu’est ce qui m’a poussé à en lire les pages? Qu’est ce qui a fait que parmi ces centaines de pages, le nom de « Jules César » a attiré mon attention? Astérix.

 

Non, ce n’est pas une épopée historique mais en rendant familiers à de jeunes oreilles des noms comme Jules César, Brutus, Cléopâtre, Vercingétorix, Gaule, ils piquent leur curiosité et les portent d’avantage à lire sur le sujet une fois plus grands que si on leur posait devant les yeux tout de suite l’œuvre complète de Cicéron ou de Plutarque. Ils ne les comprennent pas tout de suite mais empruntent un chemin en pente douce qui les mèneront éventuellement à lire ces grands classiques. Son premier pas, c’est Astérix.

 

Les critiques ne savent pas du tout voir derrière la fine couche de baffes et de clichés. Ils déplorent le manque de culture de notre époque « barbare ». Toutes les époques sont barbares pour leurs contemporains! Pensez vous sérieusement que même à l’époque des lumières, la sacro-sainte Aufklärung,  tout le monde, même les paysans, lisaient Homère? Ils ne savaient même pas lire.

 

L’histoire est comme toutes les autres matières, il faut d’abord y être initié. Je plains celui qui essaye d’intéresser à un enfant de huit ans à la guerre des Gaules. Dans son esprit, il identifiera vite l’histoire à une matière plate et difficile. Astérix, même si ce n’est pas son but premier, joue le rôle d’une porte d’entrée vers ces matières. C’est la marijuana de la lecture et de l’histoire; plusieurs en restent là mais quelques uns, qui n’y auraient pas goûté autrement, on vite une curiosité qui les pousse  vers quelque chose de plus gros. Ils trouvent autre chose auxquels ils s’habituent et après cherchent encore autre chose. Ainsi de suite jusqu’à, comme dans mon cas, ils soient accros à la connaissance.

 

J’ai presque envie de qualifier Astérix de bonbon intellectuel mais l’analogie serait fausse. Un bonbon, quoiqu’il ait un bon goût, n’a pas de valeur nutritionnelle alors qu’Astérix a une certaine valeur intellectuelle. Il s’agit plutôt d’une tranche de tomate ou d’une feuille laitue glissée dans un hamburger. Est-ce qu’on salit un bon légume en le laissant toucher un vilain morceau de viande plein de gras? Qui sait mais si on ne l’avait pas mis dans le hamburger, la feuille de laitue aurait été laissée dans le frigo.

 

La laitue (comme aliment) existe pour être mangée comme l’art existe pour être apprécié. C’est un moyen de communication et pour communiquer, il faut faire le compromis (que quelques personnes voient comme un avilissement) d’aller vers l’autre, lui parler, nouer un dialogue plutôt que de s’enfoncer dans un monologue insensé et vaniteux tout en espérant (sans en avoir l’air, snobisme oblige) que quelqu’un vienne écouter ce qu’on a à dire et crient au chef d’œuvre.

 

Il faut s’abaisser au niveau  des enfants et des profanes (qui est moins bas que l’on pense, si on laisse son snobisme à la porte), les prendre par la main avec Astérix, Tintin et Harry Potter non pas pour en rester là mais pour lentement leur faire découvrir, année après année; Christine Brouillet, Michel Tremblay, puis Stephen King,  puis Mary Higgins Clark jusqu’à ce qu’ils peuvent par eux-mêmes aller chercher les splendeurs qu’il y’a de l’autre côté du mur, les Ionesco, Hugo, Eco, Corneille et pourquoi pas, Molière.

 

Or, si l’on élève le « petit peuple vulgaire » au niveau des lettrés, que reste-t-il aux snobs?

 

Quand j’étais à la polyvalente et qu’on devait faire un compte-rendu de lecture, moi et quelques autres bolles avions les livres les plus intéressants; un Mari Higgins Clark dégoulinant d’adrénaline ou un Michel Tremblay truffé de sacres bien explosifs. D’un autre côté, les moins chanceux qui ont travaillé plus fort que nous pour leur diplôme (s’ils l’ont eu) avaient les livres les plus difficiles et les plus plates. Ceux qui auraient pu piquer leur intérêt, c’est nous qui les avaient. Les profs et les élèves, volontairement ou non, marquaient clairement la limite entre les bonnes petites (filles) diplômés d’avance et les vilains petits canards, sur lesquels mieux vaut ne pas perdre d’énergie. Pourtant, à armes (et à préjugés) égales, certains d’entre eux auraient fort bien pu avoir leur diplôme.

 

Pourquoi cette dichotomie entre bons et mauvais élèves? Entre haute culture et culture populaire, que l’on étiquette souvent comme une perte de temps? Quoiqu’on en dise, à sept jours ou à cent sept ans, mécanicien ou académicien, nous sommes tous en processus d’apprentissage. Ceux qui s’époumonent à crier la bêtise des autres le feraient moins s’ils en étaient conscients.  À les entendre crier la stupidité des « inférieurs » ( lire: du monde entier) sans se rendre compte de la leur, je préfère encore lire Astérix.

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