Saturday, September 20, 2008

Ode à Astérix

De loin, on ne voit qu’une grosse bedaine. Ses voyantes braies bleues et blanches lui vont jusque sous les bras, ses fines tresses rousses les touchent presque. Au dessus de son cou robuste, un petit menton et des petites pommettes saillantes et hautes perchées laissent anticiper un sourire sous son abondante moustache et son nez caricatural. Autour de cette grosse poire, ses yeux et son casque semblent minuscules. Ses bras chairus , large comme des troncs d’arbres se rejoignent souvent dans son dos où ses grosses mains supportent une monumentale garnotte qui fait deux fois sa taille (et c’est pas peu dire!). Il n’est pas exactement le menhir le plus intelligent de la carrière mais il a la joie de vivre d’un Portos doublée de la susceptibilité belliqueuse d’un Cyrano de Bergerac (c’est pour ça que Depardieu lui va à merveille). Ce gros mastodonte (dites le pas trop fort) est pourtant un grand timide de son propre aveu.

 

À côté de sa grosse paire de chaussures brunes et informes, il y en a presque toujours une seconde. De celle-là émergent de courtes jambes vêtues de rouges jusqu’à une ceinture lestée d’un glaive de côté et d’une gourde assez spéciale de l’autre. Un petit chandail noir monte jusqu’à ses étroites épaules, laissant à découvert ses bras frêles. Ne vous y méprenez pas! Sur le visage, les mêmes pommettes saillantes, le même nez gros comme un œuf d’autruche, presque les mêmes moustaches mais en jaune. Des plumes se dressent sur son casque, comme s’il avait toujours une ampoule allumée au dessus de a tête. Contrairement à son comparse aux petits yeux hébétés, les siens sont éveillés, grand ouverts sur un esprit plus vif que l’on croirait.

 

C’est presqu’une signature. Même si ce n’était pas lui qui les dessinait, les personnages de Goscinny ont toujours eu un énorme nez de clown; Astérix, Obélix, Iznogoud, Oumpah-pah, les Dalton… Contrairement à l’univers de la Ligne Claire de Hergé qui se veut généralement assez réaliste, l’univers de Goscinny et d’Uderzo est cartoonesque, caricatural à l’excès. Personnages dessinés soit minuscules, soit démesurés (Astérix face à Obélix, Joe Dalton face à Averell), presque sans aucun sens des proportions; mentons énormes, nez énormes, pieds énormes. Les méchants piquent des crises dignes d’enfants de quatre ans hyper-gâtés mais les bons aussi ne sont pas dénués d’un certain côté grotesque. Les lois de la physique sont respectés, à moins que ce soit plus drôle autrement. Quand quelqu’un est frappé, il fait un saut de dix mètres dans les airs…et survit! (« Oh, tu sais, ce n’est qu’dessin animé après tout. Tout est permis! ») C’est la même chose avec l’histoire.

 

C’est tout juste les drôles de faces qu’il faut pour meubler de bonnes soirées quand on a huit ans. Je sait, c’est pas bon de rester trop longtemps devant la télé quand on a huit ans (dans ce cas là, pourquoi est ce qu’on leur donne des médicaments pour qu’ils restent assis?). Lors des trop courtes soirées du temps des fêtes passés devant la télé de la chambre de mes parents, les rires des mon onc’ et matantes du bout du monde (ie, Montréal)  venues en visite de fin d’année, les jokes de mes frères et sœurs encore sous le toit familial et même l’arôme des galettes et des pâtés passaient amplement la porte de bois mince mais il en fallait bien plus que ça pour faire sortir la petite dernière de la chambre pour un morceau de dinde ou même pour un nouveau cadeau; j’avait tout ce qu’il fallait pour m divertir devant les yeux et entre les deux oreilles. Mon imagination faisait du cent à l’heure en regardant l’acier brillant de l’armure robuste des romains pourtant impuissante contre le poing d’Obélix. Je sautillai au rythme des bagarres et même une fois le film fini, j’imaginait le duo gaulois à mes côtés partout ou j’allait. Je n’avait pas besoin d’amis, même en allant me faire glisser à la gravel pit. Les plus infimes détails de ma vie d’enfant devenaient excitants, même l’école. Ce n’était que de la rêverie mais de la rêverie intéressante qui me donnait de l’énergie, me survoltait. C’était le pourvoir, pour une petite fille de huit ans en 1993, de me transporter en Gaule, vingt siècles plus tôt, déjà le pouvoir de transposer un univers dans le mien et même d’en créer un autre. Déjà l’embryon d’un talent d’écrivain.

 

Le temps des fêtes est un temps fertile en clichés au Canada. L’œuvre de Goscinny et Uderzo est aussi pleine de clichés d’outre-Atlantique. Il y’a aussi beaucoup d’autres clichés qui font rire tout le monde, surtout les adultes, qui y ont presque tous eu affaire un jour ou l’autre. L’élément déclencheur de l’album « Les Lauriers de César » est un pari d’ivrogne la rivalité et les commérages auxquels se livrent Bonnemine et les femmes du villages dans « La Zizanie » est un délice. On peut aussi prendre l’exemple de la maison qui rend fous, dans « Les Douze Travaux d’Astérix ». N’importe qui a déjà eu affaire à la bureaucratie gouvernementale (et aussi de plusieurs entreprises privées) a un jour, eu envie de péter les plombs comme Obélix. Un de mes professeurs d’histoire s’est même une fois servi de cette scène comme exemple humoristique de ce qu’était la bureaucratie romaine dans les derniers jours de l’empire.

 

Composé pour la plus grande part après Mai 1968, on voit bien que l’univers d’Astérix est moins coincé, moins politically correct que celui de Tintin. Il est plus satirique, avec tout juste la bonne dose de vérité historique et de clins d’œil à notre temps. Astérix nage à la perfection entre la satire humoristique destinée aux adultes et l’humour un peu plus doux, voir même un peu plate, destiné aux enfants.

 

La grande force de cette œuvre, c’est justement son humour à plusieurs niveaux. Les bagarres intéressent les jeunes savant à peine lire. Les situations anachroniques, les jeux de mots et les clins d’œil à notre époque amusent les plus vieux (jeunes de cœur). Même le lettré et le fin historien y trouve son compte en citations latines et en fines références à l’histoire romaine.

 

C’est une bonne réponse à certains qui ont accusé l’œuvre de Goscinny et d’Uderzo d’être truffés d’incongruités historiques et de manque de profondeur. Ces critiques ne sont pas dénués d’un certain snobisme, celui qui prend sa seule fierté dans la compréhension de ce qui est au dessus  du commun des mortels, qui foule aux pieds ce que la plupart des gens comprennent, le tout dans le plus parfait arbitraire. Ces critiques semblent oublier qu’Astérix est une bande dessinée, un divertissement, et non un manuel d’histoire. Certains des auteurs encensés par les mêmes critiques se sont eux aussi permis de petites entorses à l’histoire de leurs œuvres plus sérieuses mais pas de moindre qualité pour autant. Ils l’ont fait au nom de la créativité et de la liberté artistique et ils avaient parfaitement le droit de le faire. L’art n’a pas à être une représentation de l’histoire pas plus que la peinture, à l’époque de la photographie numérique, n’a qu’a être une représentation fade de ce que l’on voit. Ces responsabilités reviennent respectivement à l’histoire et à la photographie. On apprend très tôt aux jeunes à faire la différence entre la réalité et la fiction et vers l’âge de dix ans ils savent bien souvent la faire mieux que nous. Ils savent donc très bien que la potion magique n’existe pas. On peut pas en dire autant de leurs ainés qui recherchent toujours boissons énergétiques, shakes aux protéines et fontaines de jouvence au collagène et aux Oméga-3.

 

Même si cette bédé est presque de l’entertainment à l’américaine au pays des critiques snobs par excellence, il y’a une certaine historicité (conquête romaine de la Gaule, thermes, insulae). Il y’a aussi une certaine profondeur qui dépasse le simple étalage de chauvinisme auquel les américains nous ont habitués. On n’a qu’à penser au personnage de Jules César. Il aurait été très facile et même tentant d’en faire un méchant envahisseur à la Darth Vader et de traîner aux égouts ce grand personnage de l’histoire de l’humanité. Après tout, n’a-t-il pas assujetti le peuple de nos héros? Au contraire, c’est par sa caricature en encre et en papier qu’il est ramené à un niveau plus humain que celui de Dieu auquel des générations d’historiens à ses pieds l’ont hissé. Dans Astérix, Jules est toujours un homme d’État ambitieux (l’ambition est un pré-requis pour être un politicien) mais tout de même hors-pair, qui n’a pas toujours conquis le monde en étant poli (l’esclavage et les prises d’otages sont abordés dans Astérix) mais personne dans l’histoire n’a conquis le monde sans tricher un peu (lisez Le Prince de Machiavel si vous en doutez!) Il redouble d’ingéniosité pour conquérir le village Gaulois, dernier caillou dans sa caliga mais est toujours tenu en échec par la potion magique et parce qu’il a beau être le plus grand politicien te tout les temps, il est entouré d’incompétents (fictifs, à qui incombe d’avantage le rôle du méchant classique). Il est cependant loin d’être un dieu sur terre et il lui arrive de se fâcher, de se tromper, et même quelques fois d’avoir l’air assez ridicule.

 

Savez-vous ce qui m’a amené à m’intéresser autant à l’empire romain? Une bonne partie de ce que je connais sur les césars, je l’ai pris dans une vieille encyclopédie que Patrice m’a donnée. Qu’est ce qui m’a poussé à en lire les pages? Qu’est ce qui a fait que parmi ces centaines de pages, le nom de « Jules César » a attiré mon attention? Astérix.

 

Non, ce n’est pas une épopée historique mais en rendant familiers à de jeunes oreilles des noms comme Jules César, Brutus, Cléopâtre, Vercingétorix, Gaule, ils piquent leur curiosité et les portent d’avantage à lire sur le sujet une fois plus grands que si on leur posait devant les yeux tout de suite l’œuvre complète de Cicéron ou de Plutarque. Ils ne les comprennent pas tout de suite mais empruntent un chemin en pente douce qui les mèneront éventuellement à lire ces grands classiques. Son premier pas, c’est Astérix.

 

Les critiques ne savent pas du tout voir derrière la fine couche de baffes et de clichés. Ils déplorent le manque de culture de notre époque « barbare ». Toutes les époques sont barbares pour leurs contemporains! Pensez vous sérieusement que même à l’époque des lumières, la sacro-sainte Aufklärung,  tout le monde, même les paysans, lisaient Homère? Ils ne savaient même pas lire.

 

L’histoire est comme toutes les autres matières, il faut d’abord y être initié. Je plains celui qui essaye d’intéresser à un enfant de huit ans à la guerre des Gaules. Dans son esprit, il identifiera vite l’histoire à une matière plate et difficile. Astérix, même si ce n’est pas son but premier, joue le rôle d’une porte d’entrée vers ces matières. C’est la marijuana de la lecture et de l’histoire; plusieurs en restent là mais quelques uns, qui n’y auraient pas goûté autrement, on vite une curiosité qui les pousse  vers quelque chose de plus gros. Ils trouvent autre chose auxquels ils s’habituent et après cherchent encore autre chose. Ainsi de suite jusqu’à, comme dans mon cas, ils soient accros à la connaissance.

 

J’ai presque envie de qualifier Astérix de bonbon intellectuel mais l’analogie serait fausse. Un bonbon, quoiqu’il ait un bon goût, n’a pas de valeur nutritionnelle alors qu’Astérix a une certaine valeur intellectuelle. Il s’agit plutôt d’une tranche de tomate ou d’une feuille laitue glissée dans un hamburger. Est-ce qu’on salit un bon légume en le laissant toucher un vilain morceau de viande plein de gras? Qui sait mais si on ne l’avait pas mis dans le hamburger, la feuille de laitue aurait été laissée dans le frigo.

 

La laitue (comme aliment) existe pour être mangée comme l’art existe pour être apprécié. C’est un moyen de communication et pour communiquer, il faut faire le compromis (que quelques personnes voient comme un avilissement) d’aller vers l’autre, lui parler, nouer un dialogue plutôt que de s’enfoncer dans un monologue insensé et vaniteux tout en espérant (sans en avoir l’air, snobisme oblige) que quelqu’un vienne écouter ce qu’on a à dire et crient au chef d’œuvre.

 

Il faut s’abaisser au niveau  des enfants et des profanes (qui est moins bas que l’on pense, si on laisse son snobisme à la porte), les prendre par la main avec Astérix, Tintin et Harry Potter non pas pour en rester là mais pour lentement leur faire découvrir, année après année; Christine Brouillet, Michel Tremblay, puis Stephen King,  puis Mary Higgins Clark jusqu’à ce qu’ils peuvent par eux-mêmes aller chercher les splendeurs qu’il y’a de l’autre côté du mur, les Ionesco, Hugo, Eco, Corneille et pourquoi pas, Molière.

 

Or, si l’on élève le « petit peuple vulgaire » au niveau des lettrés, que reste-t-il aux snobs?

 

Quand j’étais à la polyvalente et qu’on devait faire un compte-rendu de lecture, moi et quelques autres bolles avions les livres les plus intéressants; un Mari Higgins Clark dégoulinant d’adrénaline ou un Michel Tremblay truffé de sacres bien explosifs. D’un autre côté, les moins chanceux qui ont travaillé plus fort que nous pour leur diplôme (s’ils l’ont eu) avaient les livres les plus difficiles et les plus plates. Ceux qui auraient pu piquer leur intérêt, c’est nous qui les avaient. Les profs et les élèves, volontairement ou non, marquaient clairement la limite entre les bonnes petites (filles) diplômés d’avance et les vilains petits canards, sur lesquels mieux vaut ne pas perdre d’énergie. Pourtant, à armes (et à préjugés) égales, certains d’entre eux auraient fort bien pu avoir leur diplôme.

 

Pourquoi cette dichotomie entre bons et mauvais élèves? Entre haute culture et culture populaire, que l’on étiquette souvent comme une perte de temps? Quoiqu’on en dise, à sept jours ou à cent sept ans, mécanicien ou académicien, nous sommes tous en processus d’apprentissage. Ceux qui s’époumonent à crier la bêtise des autres le feraient moins s’ils en étaient conscients.  À les entendre crier la stupidité des « inférieurs » ( lire: du monde entier) sans se rendre compte de la leur, je préfère encore lire Astérix.

Tuesday, September 9, 2008

On est pas des brebis!

En juillet, j’ai écrit une lettre ouverte dans l’Acadie Nouvelle portant sur le droit à l’avortement. C’était pour défendre le Dr. Morgentaler et sa médaille de l’ordre du Canada. Mon papier a été publié dans l’édition du samedi comme lettre de la semaine et j’en étais pas peu fière!

 

Voilà que deux mois plus tard, le sujet redevient d’actualité mais cette fois, chez nos voisins du Sud, et pas parmi les plus neutres. Bristol Palin, la fille de la colistière républicaine Sarah Palin est enceinte et célibataire à 17 ans.

 

John McCain, qui dit avoir su le fond de l’histoire avant d’avoir choisi sa colistière, s’est pourtant ouvert toute une boite de pandore. Soit il voulait faire tout le mal possible à sa propre campagne, soit il est franchement stupide. En tout cas, les médias et les critiques s’en donnent à cœur joie. Les républicains crient aux médias subjectifs (et trainer Michelle Obama, Chelsea et Bill Clinton dans la boue, c’est ok? Associer Barak Obama aux Black Panthers et à des islamistes radicaux, c’était objectif?). Les médias ont toujours l’air plus objectif quand ils ont la même opinion que nous. Très franchement, j’aime pas jouer la même game de sale que les républicains ont joué avec Bill, surtout pas quand ça concerne une toute jeune fille.

 

Qu’est ce que la colistière du candidat républicain à la présidence américaine vient faire dans  le blog d’une acadienne ouvertement gauchiste?  C’est que cette belle canne de vers vient d’ouvrir une brèche grosse comme le détroit de Béring dans l’idéologie moralisatrice non seulement des républicains américains mais de toute la droite occidentale.

 

Palin, gouverneure de l’Alaska (pff, et y disent que le Canada, c’est le milieu de nulle part), est farouchement contre l’avortement et refuse toute éducation sexuelle dans les écoles à part l’abstinence (sans parler qu’elle tient à ses fusils d’assaut comme un macho minable qui a une faiblesse « on-sait-où » à compenser). Or, la grossesse de Bristol Palin prouve quelque chose que l’on dit depuis longtemps; l’abstinence marche, en théorie. C’est un très bel idéal qui tire de la sainteté mais c’est un idéal auquel les jeunes n’ont pas tous la force de se conformer (à moins de les marier à 14 ans, comme dans le temps de ma grand-mère).

 

Interdire l’éducation sexuelle et les condoms de peur d’inciter les adolescents à avoir des relations sexuelles, comme le prônent le pape et madame Palin, revient à interdire les ceintures de sécurité et les sacs gonflables dans les autos de peur d’inciter les gens à conduire dangereusement. Le Sida fait rage et il nous faut une solution pragmatique et non une utopie pour y faire face. Les adolescents, s’ils ne sont pas a la hauteur d’être de parfaits petits ascètes asexués, castrés et plates comme leurs parents leurs demandent, ont le droit de se protéger d’une maladie. Beaucoup se servent même du Sida comme un bonhomme-sept-heures qui viendra tuer les pauvres petits chérubins adolescents s’ils osent devenir de méchants démons sexués. Ben oui, la chasteté est une vertu mais la chasteté imposée par la peur, ce n’est pas du respect de soi mais tout simplement se faire mentir, être tenu en laisse dans l’ignorance par les plus grands. Ce n’est certainement pas grandir.

 

Pour ce qui est de l’avortement, je comprend mieux la position conservatrice. En cas de danger pour la vie de la mère lors d’une grossesse non désirée, mieux vaut un beau petit bébé rose que de garder en vie une traînée qu’a pas su se fermer les jambes ( j’ai jamais été aussi sarcastique de toute ma vie).

 

L’idée que McCain a peut-être eu de récupérer le vote féministe avec un colistier qui a beau avoir un vagin mais qui considère chaque femme (à part elle-même, bien-sûr) comme un simple utérus sur pattes est franchement une insulte à l’intelligence tant des féministes que des républicains.

 

Mais sérieusement, je comprends les objections pro-vie. Personne d’entre nous ne se souvient de la journée, de l’heure, de la minute où, dans le ventre de notre mère, nous sommes devenus des êtres pensants. C’est pour ça que je pense qu’il faudrait conscientiser les gens face à l’avortement, leur faire comprendre que ce n’est pas un caprice mais la dernière des dernières portes de sorties quand il ne reste plus d’autre solutions. Le droit à l’avortement est une bonne chose mais le fait qu’on ait à s’en servir si souvent n’en est pas une. Il n’y a pas une femme au monde qui sabre le champagne en se faisant avorter. Elle est bien consciente que c’est une vie en devenir qui est interrompue. La plupart pleurent même et en sont psychologiquement marquées à vie. L’image naïve et manichéenne de la femme sèche qui jette son fœtus à la poubelle est, à mes yeux, un cruel manque de compassion envers des jeunes filles qui elles, à défaut d’être de parfaites petites saintes Vierges, souffrent certainement. Elles choisissent de se faire avorter parce qu’elles ne voient pas d’autres portes de sortie. Si on leur ferme la dernière, elles vont l’emprunter quand-même, un fil de fer planté entre leurs jambes couvertes de sang. Si on veut vraiment que ces « irresponsables » gardent leur bébé, il faut les diriger vers d’autres portes de sortie plus éthiques dont plusieurs leurs sont bloquées par notamment par le « qu’en-dira-t-on » puritain mais aussi par des raisons psychologiques.

 

La contraception entraîne un taux de nativité bas, ok, parce que les gens choisissent de ne pas avoir d’enfants dès qu’on les met en charge de leur fertilité. Pourquoi? Parce qu’on panique devant la responsabilité de parent une figure d’autorité. On idéalise le jeune simili-marginal un peu baveux face à la figure d’autorité rabat-joie qu’est le parent, Devenir parent, c’est vieillir et c’est cette peur de vieillir, d’avoir un pied dans la tombe qui chasse certaines femmes de la maternité. Raison superficielle mais cette peur touche toute la société; le rôle de parent n’est plus mis en valeur chez une civilisation d’éternels ados.

 

L’autre problème qui pousse à l’interruption presque systématique de la plupart des grossesses non (consciemment) désirées, c’est cette vision selon laquelle tout ce qui n’est pas rigoureusement contrôlé au quart de tour ne peut pas être bon. Or, la fertilité n’est pas si facilement que ça. On a beau crier « un enfant si je veut », parlez-en à toutes les femmes dans la quarantaine qui essaient de concevoir et vous vous rendrez compte qu’on a beau faire ce qu’on veut, c’est la nature qui est la patronne.

 

Aussi, ce que l’on veut n’est pas toujours ce qu’on a besoin. On gaspille une énergie folle à entretenir des pelouses-tapis taillées comme le dessus de la tête d’un marine. On en vient à détester l’irrégularité poétique du trèfle, on veut éradiquer les pissenlits honteusement naturels dont la petite tête jaune casse ce vert morne et uniforme. On est tellement obsédés par la recherche de la beauté et du bonheur qu’on oublie de les apprécier quand ils passent. Ça me rappelle une sorte de rosier sauvage. La plus belle petite fleure rose au cœur jaune et qui pousse dans un dépotoir. C’est parfois la même chose pour un enfant.

 

Évidemment, un bébé n’est pas une panacée. Ce n’est pas à lui de veiller sur nous mais à nous de veiller sur lui. Cependant, pour certaines personnes, avoir un petit être à qui donner, sur qui veiller, peut donner un sens à la vie. Donner à quelqu’un d’autre, pour une fois. Sur ce point, fonder une famille peut constituer un antidote au matérialisme ambiant qui ne mène nulle part. Tout trésor matériel (lire; maison, auto, bébelle technologique) perd sa valeur dès qu’on l’a. On ne le veut plus! Un enfant, c’est autre chose. C’est quelque chose de transcendant, participer à quelque chose de plus grand que nous, qui sera là après notre mort et qui se souviendra de nous plus tard. C’est participer à la vie elle-même plutôt que de faire tout simplement des fioritures autour.

 

C’est beau avoir un enfant mais ce n’est pas non plus une tâche surhumaine qui doit se faire en milieu stérile sans aucun imprévu. Il ne faut pas avoir peur de tout gâcher. Vos parents n’étaient pas des dieux, quoi que vous en pensiez (Ô oedipe, quand tu nous tiends!),  pourtant ils vous  ont bien élevés.  Il y a certainement eu des épreuves mais les épreuves forment l’essence de la vie. Chacune d’elles est un coup de ciseau dans la pierre qui transforme un bloc de marbre primordial sans âme en une sculpture, œuvre d’art.

 

Justement parce que ce sont les épreuves qui forment le caractère et la personnalité, un fœtus n’est pas encore un humain, pas encore. C’est déjà une formidable petite machine, un cœur qui bat. C’est une vie, mais pas encore une vie humaine. Par contre, elle peut le devenir. Une vie, une âme, c’est bien plus qu’un corps.

 

Une âme est faite parce que la vie fait voir à une personne, ce que ses parents lui inculquent comme valeurs. Un vrai parent, ce n’est pas celui ou celle qui se contente de faire un corps mais qui transmet des valeurs à son enfant. Un être humain est constitué de trois dimensions; corps, âme et intellect.

 

Cependant, faire un corps, ce n’est déjà pas rien. Un fœtus n’est pas encore un humain mais il pourrait le devenir. C’est pour ça que l’avortement ne doit jamais être pris à la légère.

 

L’être humain est fort complexe mais le discours religieux de droite le voit d’une manière désespérément simpliste, voire avilissante; une machine à se reproduire. Ainsi, le Deutéronome et la plupart des télévangélistes dénoncent l’homosexualité comme contre-nature parce que ne pouvant pas mener à la reproduction. Il croient que tout sexe non-reproductif écarte l’être humain de sa raison d’être; se reproduire. Une telle vision écarte de l’équation le sacro-saint amour qui rend le sexe tolérable aux yeux de la plupart des bien-pensants. Faire l’amour, même avoir une aventure d’un soir, est bien plus qu’un simple échange d’ADN. Deux personnalités, des traits de caractères, des âmes entrent en ligne de compte. Et de même, pour trouver un conjoint ou un « partenaire de vie » il y’a des gouts,  des besoins émotifs, une histoire de vie, toute une psychologie qui sont impliqués. Les nier, c’est faire de l’être humain un « breeder », une simple machine, plus basse encore qu’un animal, auquel ils répugnent à admettre notre affiliation.

 

Ils supposent que tous sont faits pour se reproduire. C’est aussi tout un manque d’humilité de prétendre connaître la raison d’être de l’humanité et de réprimander quiconque ne s’y conforme pas ou n’en a pas la même idée. Qui peut prétendre le faire? Bien malin est celui qui sait ce que le bonhomme d’en haut avait en tête en créant Adam et Ève!

 

Peut-être que la nature (ou Dieu) a conçu l’homosexualité justement comme un moyen de soustraire quelques-uns d’entre nous au devoir d’élever une famille pour leur permettre de consacrer leur vie à autre chose. Par exemple, il y’a beaucoup d’homosexuels dans les milieux des arts et de la religion, on n’a qu’a penser à plusieurs prêtres catholiques (c’est justement pour qu’ils puissent consacrer plus de temps à leur sacerdoce que l’Église empêche les prêtres de se marier) et à de grands artistes comme Tchaikovsky, Léonard de Vinci, Michel Tremblay. Rien n’empêche un hétérosexuel d’exceller dans les mêmes domaines mais est ce que les grandes œuvres de ces artistes auraient été pareilles sans leur côté homo?

 

Quoi qu’il en soit, ce haut niveau de complexité est ce qui nous rend supérieurs aux animaux. C’est ce qui nous rend sacrés. La Bible elle-même n’aurait pas été écrite si quelqu’un un jour, non content d’une vie limitée a un rôle reproductif, ne s’était pas demandé s’il n’y avait pas autre chose, un Dieu. Versailles, la Tour Eifel, ont été fait pour impressionner. Newton, Galilée, Einstein, ont travaillé pour mieux comprendre le Monde. La citadelle de Québec, l’homme su la Lune, ont été mis là par le simple désir, assez stupide, de se montrer supérieurs aux autres. Même des passions condamnées par la religion, des passions à première vue nuisibles, contiennent pourtant les racines de ce qu’il y’a de mieux dans l’être humain. Toute forme de civilisation ne serait pas là si l’être humain s’était contenté d’être une simple bonne petite brebis qui ne fait que dormir, boire, manger et se reproduire tout en obéissant aveuglément certaines personnes qui prétendent parler au nom de Dieu.

 

On est pas des brebis, on est mieux que ça.